Ibuka France a a adressé un courrier au Président du CSA ce 24 décembre pour protester contre la profanation de la mémoire du génocide des Tutsi par la chaîne Canal+
« Monsieur le Président,
L’association pour la mémoire du génocide des Tutsi du Rwanda, Ibuka France, proteste contre la profanation de cette mémoire par la chaîne Canal+ le vendredi 20 décembre dernier dans son émission phare « Le Débarquement – Le rendez-vous en parenthèses inattendues» , dont le lien est:
Dans un dialogue entre comédiens autour d’un thé à la menthe et d’un repas, on entend dire « Franchement, même après le génocide, ils sont encore là ces Rwandais … on te dit Génocide, Génocide, moi je trouve qu’il y en a encore un paquet en pleine forme… Fais dodo Colas mon p’tit frère…Maman est en haut coupée en morceau… Papa est en bas, il lui manque un bras… ».
Pire que les mots, nous dénonçons l’ambiance de gouaillerie dans laquelle a baigné l’échange. Peut-on rire autant de la souffrance des autres ? Les tirades des comédiens et le rire du public rappellent étrangement les émissions de la fameuse Radio des Mille Collines (RTLM) à Kigali en 1994 dans lesquelles les appels aux meurtres étaient accompagnés de plaisanteries cyniques. «Il y en a encore un paquet » évoque la formule largement attribuée à la RTLM : « la fosse n’est pas encore pleine ». Quant à la berceuse macabre, elle rappelle par trop la morbidité des caricatures du bimensuel raciste Kangura.
Au nom des victimes, nous demandons :
- au CSA de publier des excuses publiques pour son manque de vigilance
- à la Chaîne de condamner les auteurs du scénario
- aux pouvoirs publics de sortir d’un silence et des ambiguïtés qui sont devenus le lit d’un négationnisme public et vulgaire.
Que l’on nous comprenne bien. Nous ne sommes pas contre la liberté de création. Mais lorsque celle-ci devient le lieu d’outrage à la douleur des femmes et des hommes, il faut le dénoncer. Non, on ne peut pas tout dire. En tout cas, nous estimons qu’on ne peut pas rire de tout.
Et s’il est vrai que l’on peut apprendre en s’amusant et que l’on peut donc enseigner tout en faisant rire, il y a, dans ce cas, besoin d’un avertissement. Dans un pays où même les manuels scolaires font encore la confusion entre victimes et bourreaux du génocide des Tutsi, ce montage de scènes invraisemblables et aussi blessantes les unes que les autres, ne peut que contribuer à brouiller les pistes en faisant souffrir les rescapés encore davantage. Pourquoi cela à la veille de la vingtième commémoration ?
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération distinguée. »
Marcel Kabanda
Président d’Ibuka France
REPONSE:
«Ce sketch ne visait en aucun cas à porter atteinte à la mémoire de victimes du génocide rwandais. Ce sketch visait à caricaturer et dénoncer l’attitude de certains occidentaux ne s’intéressant qu’à eux mêmes, en arrivant dans un pays qui leur est totalement étranger. Le choix d’un pays ayant connu une période de massacres visait à créer un contraste extrême entre la gravité des faits et l’attitude désinvolte des supposés invités d’une émission. Nous regrettons que ce sketch ait pu être interprété autrement.»
Communiqué de Canal + publié ce soir sur le site du Parisien.
Le communiqué hautain et dédaigneux ci-dessus ne comporte aucune excuse. Il ne comporte aucune allusion aux victimes ni aux survivants. La première phrase montre une insensibilité pathologique. Il est clair qu’en chantant comme l’ont fait les comédiens maman est en haut coupée en morceaux avec un air goguenard, ils ne visaient en aucun cas à porter atteinte, etc. Ils prétendent dénoncer l’attitude d’occidentaux qui ne sont autres qu’eux mêmes. Ce sketch est l’une des plus grosses provocations médiatiques montées contre la mémoire du Génocide. Ceux qu’ils dénoncent, ce sont eux-mêmes avant tout. Canal Plus dans son détachement du réel parle du Rwanda comme d’un pays « ayant connu une période de massacre » pour désigner un génocide auquel le nom de hiérarques français est associé. Un génocide d’1 million de personnes en 100 jours conclu par l’exfiltration encadrée et protégée de 150.000 génocidaires avec armes et bagages, vers le Congo. Le sketch visait à créer un contraste extrême…en fait de contraste, les rescapés du Génocide ont tous trouvé que le ton cynique du sketch rappelait étrangement celui de la RTLM la radio du génocide protégée dans un blindé français ou encore les sales allusions du magazine raciste Kangura précurseur du Génocide.
On regrette que Canal+ ait diffusé ce sketch,
On regrette que Canal + ait publié ce communiqué.
P.S. La rhétorique utilisée pour rédiger le communiqué est celle des révisionnistes et des tenants du double-génocide. Tout le monde ne le remarquera pas car la nuance est extrêmement vicieuse. La direction de Canal + ne dit pas Génocide perpétré contre les Tutsi par le Hutu Power, elle écrit Génocide rwandais (comme si pour parler de la Shoah on écrivait génocide allemand). Et la direction de Canal +, conseillée par les meilleurs experts, ne s’arrête pas là, elle dit aussi « à la mémoire DE victimes du Génocide rwandais ». En bon français DE victimes ne signifie pas DES victimes. De victimes signifie que l’on ne parle que d’une partie des victimes, sous-entendu, les Hutu et les Tutsi ont été ensemble victimes du Génocide. On entre là dans la définition du double génocide. Une définition révisionniste, celle de Canal+.